Ma cicatrice invisible
- Ours Grenouille
- 23 juil. 2018
- 7 min de lecture
Elle est invisible mais bien là. Cachée aux yeux de tous, même des miens. Elle est apparue un beau jour, l'un de plus beaux de tous. Celui de la naissance de mon premier enfant, mon petit garçon ours. Elle fait partie d'un tout, d'un moment douloureux, d'un moment de joie, d'un moment inoubliable. Je l'ai ignorée, puis détestée, elle m'a rendue triste et maintenant elle est acceptée. Alors je peux en parler. ATTENTION, je ne parle ici que de mon expérience personnelle et de ce que j'en ai fait et je ne remets pas celle des autres en question. Voici, MA version.
MON ACCOUCHEMENT
Mon ourson était un gros bébé. 4,250kg sur la balance. Un accouchement pas si simple que je raconte ICI. Un faux travail long, des contractions très douloureuses et sans répit. De la souffrance foetal, beaucoup de fatigue, une hémorragie interne et une mise au monde au bout de la nuit. J'ai été au bout, j'ai tout donné. La sage-femme me révélera après coup qu'elle me voyait partir en césarienne. Alors je suis fière de moi. Mais vient le moment de faire l'état des lieux des dégâts. Je suis écorchée vive ! J'ai des déchirures partout. A l'intérieur, à l'extérieur. Et une "petite épisiotomie". C'est ce que m'annonce le gynécologue qui a dû venir prêter main forte durant l'accouchement. Je ne l'ai pas sentie, on ne m'a rien demandé. Il doit me recoudre. Ce moment qui succède à la vague de joie de mettre au monde mon enfant, est froid, intense, difficile et solitaire. Il me recoud pendant que Papa Ours va s'occuper de l'ourson dans une autre pièce. Et le gynécologue est appelé pour une urgence, il doit me laisser là mais il n'a pas fini. Je reste seule, mon corps béant, tiraillé, tremblotant. Je dois rester seule peut-être 5 minutes, mais le temps me parait une éternité. J'ai mal et je suis seule. Mais je l'entends lui, mon bébé, apprivoiser la vie toujours dans la salle d'à côté. Alors je m'accroche pour en faire un "bon" moment et oublier ce froid. On revient me voir. Je suis couverte de cicatrices. Je ne les vois pas mais je les sens. A plusieurs reprises je demanderai combien j'ai de points de suture pour mon épisiotomie et à plusieurs reprises on me répondra c'est une "petite épisiotomie". On ne veut pas me dire. Pour me rassurer, ne pas m'angoisser c'est certain, mais cela produit tout l'effet inverse.
Durant mon séjour à la maternité je suis très bien suivie pour les soins, je n'y pense plus. On me dit que ça cicatrise très bien, que la cicatrice est "belle". Je ne sais pas ce que ça veut dire.
Rentrée à la maison je ressentais des petites tiraillements, rien de méchant. Durant les premiers rapports, c'est une zone extrêmement sensible mais pas en bien. Le frottement créait comme une résonance. Je la ressens parfois encore aujourd'hui, plus de deux ans après, quand je suis mal assise ou bien tout simplement quand j'y pense. J'aurais du mal à décrire cette sensation. Ca ne fait pas mal, c'est comme si la peau qui avait été recousue voulait se réouvrir. Et cela résonne. Je ne peux pas mieux expliquer.
Au départ je l'ai ignorée. Je me disais que ça passerait. Et puis, au bout d'un mois, j'ai commencé à réfléchir et à lire...
MA COLERE
Au début de ma grossesse je me souviens que ma sage-femme nous avait parlé de l'épisiotomie et nous expliquait qu'il y avait encore quelques temps l'acte médical était banalisé et quasi-systématique, afin d'éviter toute déchirure naturelle. Aujourd'hui, les avis ont changé sur l'épisiotomie et elle ne devrait être pratiquée que si elle est nécessaire. Toute naissance n'impliquant pas obligatoirement de déchirure. Elle nous a parlé du droit du patient, nous expliquant qu'avant tout acte nous devions pouvoir être informée et donner notre consentement. C'était légal ! Il s'agit de l'article 36 du code de la santé publique :
Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas. Lorsque le malade, en état d'exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que la personne de confiance, à défaut, la famille ou un de ses proches ait été prévenu et informé, sauf urgence ou impossibilité.
Les obligations du médecin à l'égard du patient lorsque celui-ci est un mineur ou un majeur protégé sont définies à l'article R. 4127-42.
Alors après coup, me souvenant des paroles de ma sage-femme, je me suis rendue compte qu'on ne m'avait rien demandé. J'ai été en colère ! Et puis j'ai lu des témoignages. Il y en a à la pelle sur internet, sur les forums. Des situations bien pires que la mienne. Des femmes avec des douleurs incessantes, ne pouvant plus avoir de rapports, devenues dépressives, ne voulant plus avoir d'enfant, ou se sentant meurtries etc. Et puis j'ai lu des choses bien pires, notamment sur le "point du mari". Une pratique (ou une légende) de quelques gynécologues, qui consisterait en un point supplémentaire pour resserrer l'entrée du vagin afin de favoriser le plaisir masculin pendant les rapports. En lisant tout ça, j'étais comme terrorisée, triste que cela me soit arrivé à moi. Je lisais les témoignages comme une éponge. J'en voulais à mon gynécologue, qui avait pourtant été très gentil avec moi mais qui m'avait "coupée" à tord ou à raison, je n'en savais rien. Alors j'en ai parlé à ma sage-femme. La même qui m'avait informé sur le consentement, en qui j'avais entièrement confiance. Elle m'a examiné et m'a dit que non, que je ne devais pas m'en faire, que le gabarit de mon bébé l'avait justifiée, que la cicatrice était bien faite et que si j'avais des douleurs je pouvais compter sur elle. Alors j'ai commencé à prendre du recul et voilà mon histoire de plus près :
MON ACCEPTATION
J'ai accouché d'un bébé de 4,250kg, mesurant 54cm avec un tour de tête de 37cm (ce qui est vraiment beaucoup). Il y avait de la souffrance foetal mais malgré ça j'ai accouché par voie basse. Pendant l'accouchement j'ai senti la tête de mon bébé appuyer avec une telle force que je me souviendrai de cette sensation toute ma vie. Il est né en pleine santé, son crâne était parfait. En voyant toutes mes cicatrices internes les sages-femmes ont plaisanté qu'il avait du me griffer en sortant. Alors oui (et il s'agit bien de mon cas personnel), je pense aujourd'hui sincèrement que la déchirure aurait été inévitable, et que l'épisiotomie m'a permis de l'éviter. Au lieu d'une "énorme déchirure" j'ai eu une "petite épisiotomie" avec une "belle cicatrice".
Et le consentement dans ton ça ? Alors je me suis posée la question : qu'est-ce que j'aurais fait si le gynécologue m'avait posé la question ? L'épisiotomie est un acte souvent pratiqué dans l'urgence, lorsque le vagin est grand ouvert et que le crâne du bébé est en train de sortir. Aurais-je su répondre sous la pression du chronomètre alors que mes efforts étaient concentrés sur la poussée? Et j'imaginais : si on m'avait prévenu "attention Madame, nous allons être dans l'obligation de faire une épisiotomie" comment aurais-je réagis. Je pense que comme beaucoup je me serais tendue, par peur de la douleur, et alors que je devais m'ouvrir pour laisser passer mon bébé, je me serais refermée. Alors oui, on peut faire en sorte de donner nos directives au papa pour qu'il puisse répondre pour nous quand nous ne le pouvons plus, mais il y a aussi tout l'aspect médical que ne ne maitrisons pas à ce moment là. Je ne savais pas que mon ourson était en souffrance, que son crâne était très gros et que la césarienne me pendait au nez. Que se serait-il passé si j'avais dis "non" à l'épisio ?
Encore une fois il ne s'agit que de mon expérience personnelle pour laquelle je suis persuadée aujourd'hui qu'elle était nécessaire et que m'en informer ou bien me demander mon avis aurait peut-être été néfaste. Je parle là d'une épisiotomie nécessaire, pas celle fait par systématisme, qui laisse des traces psychologiques et des douleurs. Je parle de MON épisiotomie, nécessaire et maitrisée. Je ne changerais pas le passé, j'ai fait confiance aux professionnels de santé qui ont su quoi faire quand je n'étais pas en capacité de décider et quand surtout, je n'aurais pas su quoi faire.
Je ne referai pas l'histoire mais je n'ai plus envie de rajouter du mal sur du mal. En lisant tous ces témoignages j'ai cru que j'étais obligée d'en souffrir, d'en vouloir au corps médical, de rester en colère. Mais ce n'est pas mon histoire. Toutes sont différentes.
pratique abusive ?
Je suis triste pour toutes ces femmes, celles qui ont "subi" leur épisiotomie, qui se sentent meurtries et en garderont des séquelles toutes leurs vies. Quand, à ces cicatrices, se rajoute en plus le sentiment d'avoir été bafouée dans leur intégrité, d'avoir été oubliée dans des décisions qui ne concernait qu'elle et leur bébé. Je suis contente de voir que le débat n'est pas clôturé, que les médecins continuent de se poser des questions sur cet acte et que les femmes osent en parler pour comprendre, partager et dénoncer parfois. C'est ensemble que nous pouvons faire changer les pratiques, médecins et patientes. Il faut combattre le systématisme dans tous les sens du terme. L'épisiotomie ne doit pas être systématique, mais elle n'est pas forcément faite par systématisme.
Il reste encore quelques praticiens qui ont "la main lourde" alors la lutte contre l'épisiotomie systématique est l'affaire de toutes car nous pouvons toutes être concerné. Elle n'est cependant pas mon combat dans cet article, que je veux être une aide à la prise de recul pour pouvoir accepter cette cicatrice quand elle a dû être nécessaire.
C'est ainsi en tout cas, en prenant du recul sur mon expérience et en me posant toutes ces questions, que j'ai fait mon deuil et accepté ma cicatrice. Ma cicatrice invisible.
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